[Flashback] Sous les pavés de la rue de Weppes, le canal Saint Pierre coule encore

À Lille, une rue peut cacher un canal. On n'y pense pas forcément quand on déguste un petit verre à la Pirogue ou sur le parvis de la Treille, mais de l'eau coule sous nos pieds. C'est le canal Saint-Pierre, sous la rue de Weppes, et on vous raconte toute sa folle histoire.

L'île, Lille... Ce n'est pas jeter un gros pavé dans la marre que de vous rappeler que notre ville était autrefois une cité fluviale. D’ailleurs, on vous avait déjà dit que ses premiers pas s’étaient passés au bord de la Deûle, au niveau de la motte féodale du château de Bucq (aux environs du VIIe siècle), remplacé au XIXe siècle par la cathédrale de la Treille.

Le secteur est marécageux, donc la rivière a été bien vite canalisée, entre le VIIIe et le Xe siècle, histoire de gérer ses crues. Résultat : au Moyen-Âge, Lille ressemblait vachement à l'Amsterdam d'aujourd'hui, en terme d'aménagement de l'eau. À l'époque, on distinguait plusieurs bras de la Deûle : la Haute Deûle venant du port du Quai du Wault et la Basse Deûle depuis les quais du port du Grand Rivage, situé au niveau de l'avenue du Peuple-Belge. Et pour relier les deux, il y avait d'abord le canal de la rue de l'Art (ou de la Baignerie, au niveau de la rue qui porte le même nom) puis le canal Saint-Pierre.

Selon les sources, le canal Saint-Pierre est assimilé au canal du Pont-de-Weppes, sous la rue de Weppes actuelle. Et parfois, il s'étend jusqu'à l'Hospice Comtesse, englobant le canal de la Monnaie, qui lui, n'est pas au niveau de la rue de la Monnaie mais longe la Treille depuis le rue des Trois Mollettes jusqu'à l'Hospice Comtesse. Du coup, quand on vous parle dans cet article du canal Saint-Pierre, il s'agit du tronçon sous la rue de Weppes et jusqu'à l'Hospice.

[caption id="attachment_62920" align="aligncenter" width="1024"] Wiki Commons / Bibliothèque Municipale de Lille[/caption]

Si on l'appelle parfois Saint-Pierre, il y a une bonne raison. Il puise son nom de la collégiale Saint-Pierre située non loin de là, au niveau du Palais de Justice actuel. Le bâtiment a été détruit lors du siège de Lille par les autrichiens en 1792, mais sa crypte existe encore. On peut toujours la visiter, lors des journées du Patrimoine (quand les conditions sanitaires le veulent bien).

Le canal, une nécessité économique

Retour à notre Moyen-Âge. À cet endroit de la Deûle, le cours d'eau n'était pas bien large, n'imaginez pas un navire, vent en poupe, fendant le quartier du Vieux-Lille comme un couteau qui coupe du camembert. À la place, c'étaient plutôt des petites embarcations qui transportaient quelques barriques de vin, par-ci par-là. Car oui, à l'époque, Lille, c'était la plaque tournante de la vinasse. Les tonneaux venaient des campagnes du Sud pour rejoindre la mer au Nord. Mais la Deûle était aussi nécessaire pour le commerce du blé, du sel, et plus tard (au XVIIIe siècle), de l'huile et du vinaigre.

En plus, en 1237, le long du canal, la comtesse Jeanne de Flandre fonde l’Hospice Comtesse. L'endroit n'est pas choisi par hasard : la proximité avec l'eau permettait d'abreuver le moulin Saint-Pierre à côté, qui lui, permettait de nourrir les malades et le personnel. Pour rappel, la farine, c'était la base de l'alimentation. Donc le canal avait un rôle central à l'époque : c'était l'occas' de faire du business et de satisfaire sa faim.

Plus tard, en 1913, le moulin a été détruit. Avant ça, il a quand même donné son nom à la rue Péterinck, terme qui vient du mot "pétrin", car on pétrissait la pâte à pain dans le coin. "Un de ces murs tient encore debout, à côté de l'Hospice Comtesse, raconte Jean-Yves Méreau, président de l'association Renaissance du Lille Ancien. Après sa destruction, il est devenu une minoterie industrielle." Les céréales étaient toujours moulues au même endroit, mais plus de la même manière. L'ère des machines arrive, et avec elle, ses petits inconvénients.

La fin de l'histoire d'amour avec le canal

Car l'histoire de ce canal n'est pas aussi longue qu'un fleuve tranquille. Au XVIIIe siècle, le pays s'industrialise. On utilise un peu moins le canal comme voie de transport, puisque désormais, on a le chemin de fer. En fait, on l'utilise plutôt comme égout... à ciel ouvert. Les usines, comme les teintureries et les retorderies de lin, y déversent leurs résidus et les habitants y jettent leurs déchets ménagers. La Deûle, ce n'était pas vraiment the place to piquer une tête. Vous imaginez un peu l'odeur qui s'en dégageait ? Alors imaginez aussi toutes les maladies qu'elle transportait. En 1832, une épidémie de choléra sévit à Lille. La cause : l'envasement des canaux, qui n'avaient pas été curés depuis 1814... [embed]https://www.youtube.com/watch?v=R-9eYvvfhf4[/embed]

Conclusion : entre le XVIIe et le XXe siècle, ce n'était pas le grand amour entre les Lillois et les canaux. Certains pensent même que la Deûle enlaidit le paysage, quand d'autres déclarent qu'elle l'embellit. Dès le XVIIe siècle, la question est réglée : on commence à couvrir progressivement les canaux. Celui situé sous la rue du Pont-de-Weppes n'y échappera pas, et sera bouché après la première Guerre Mondiale.

[caption id="attachment_62760" align="aligncenter" width="970"] Archives départementales du Nord[/caption] Là encore, il est possible d'observer les vestiges du canal. Quand la chapelle de l'Hospice Comtesse est reconstruite en 1657, elle s'appuie sur deux ponts surplombant le canal. Ainsi, une partie du canal est bouchée, mais préservée à la fois. Du coup, le tronçon est toujours accessible durant les Journées du Patrimoine. Bon, pour cette année, Covid oblige, ce n'est pas possible, mais si vous en avez la chance, vous verrez les anciens quais en grès. En tout cas, la prochaine fois que vous vous promenez rue de Weppes, rappelez-vous que sous vos pieds, l'eau coule encore.

Pour vous raconter l'histoire du canal Saint-Pierre, nous avons fait appel à différentes sources :

Quelques articles de la Voix du Nord :

• Sous le sol, dorment, intacts, les vestiges du canal Saint-Pierre, berceau de Lille
• Lille : le canal Saint-Pierre, son ponton, ses quais, ses ponts, son moulin à blé enfouis
• Alerte archéologique : les vestiges d’un moulin retrouvés en plein chantier

Des livres :

• Mémoire sur les rivières et canaux de la ville de Lille / 1868 / Imprimerie de Lefebvre-Ducrocq
• Rivières et canaux du Nord/ Pas-de-Calais aux époques médiévale et moderne / 1990 / Revue du Nord
• Le choléra, la première épidémie du XIXe siècle, Deuxième partie : Lille / 1958 / Revue d'Histoire du XIXe siècle - 1848
• Lille au fil de l'eau / 2001 / La Voix éditions

Quelques sites internet :

• H2O.net
• Lille d'Antan
• Et un peu de Wikipédia