[Flashback] L'explosion des 18-ponts : quand le quartier Moulins a failli disparaître
Justine Pluchard,
4 min de lecture
08 jan. 2023,
Flashback
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Il y a 107 ans, plus d'une centaine de Lillois et Lilloises perdaient la vie dans l'explosion d'un dépôt de munitions allemandes. Baptisé "explosion des 18 ponts", ce drame de la Première Guerre mondiale a pratiquement rayé le quartier Moulins de la carte de Lille. On vous raconte cet épisode peu connu aujourd'hui mais qui a pourtant marqué l'histoire de la ville.
Nous sommes le 11 janvier 1916, il est 3h30 du matin et plus personne ne dort à Lille. Une puissante explosion vient de réveiller toute la ville et même au delà : on dit que la déflagration a été entendue jusqu'en Hollande à plus de 150 kilomètres de la capitale des Flandres. Outre le bruit assourdissant, "une grande lueur jaune" envahit le ciel lillois, selon les sources de l'époque. Elle proviendrait du quartier Moulins, au sud-est de la ville. Là où se trouve la réserve de munitions des Allemands qui occupent le secteur (on est en pleine Première Guerre mondiale). Elle vient tout simplement d'exploser.
Cet arsenal se situait sur le boulevard de Belfort, près de l'actuel hôpital Saint-Vincent, dans un imposant bastion datant du milieu de XIXe que les Allemands ont investi dès leur arrivée à Lille au début de la Grande Guerre. On l'appelait "des 18-ponts" à cause de ses deux grandes rangées composées de 9 neuf arches chacune.
Cratère
Après l'explosion, on ne peut plus vraiment parler "d'arches". Il n'en reste pas une debout et pour cause : à la place du bastion imposant, il y a désormais un gigantesque "cratère de 150 mètres de diamètre et profond d'environ 30 mètres", d'après les archives municipales.
C'est en réalité la quasi totalité du quartier Moulins, entre la porte de Douai et la porte de Valenciennes, qui a disparu. Selon les témoignages de l'époque, la population a rapidement tenté de retrouver des survivant·es, des corps ou quelques effets personnels dans la plus grande stupéfaction et avec les moyens du bord. On découvre alors l'étendue des dégâts et les chiffres sont effarants : plus de 100 morts civils, plus de 400 personnes blessées, 700 maisons soufflées et une vingtaine d'usines détruites. Deux rues du quartier n'existent tout simplement plus.
Dans la Lille occupée de 1916, la population devait déjà faire face aux restrictions de la guerre et de l'occupation. Mais cette catastrophe est venue s'ajouter à un hiver déjà rude et la mairie croûlait alors sous les demandes de Lillois·es sans toit et sans ressource du jour au lendemain en plein mois de janvier.
Des funérailles municipales ont eu lieu le 15 janvier 1916, non pas à l'intérieur de l'église Saint-Vincent mais sur son parvis tellement il y avait foule. La majorité des victimes sont inhumées dans le cimetière au sud de la ville où le carré des 18-Ponts existe toujours.
Sabotage ou accident ?
Aujourd'hui encore, on ne sait pas exactement ce qui a provoqué l'explosion de l'arsenal. Très vite après le drame, l'autorité allemande a avancé la thèse du sabotage. Elle a même promis 1000 marks à qui dénoncerait l'auteur des faits. L'occupant était d'autant plus suspicieux que les Anglais avaient déjà essayé de faire exploser un convoi chargé d'explosifs arrivé à la gare de Fives quelques jours auparavant. Les Allemands s'étaient d'ailleurs empressés de décharger les tonnes d'explosifs dans le bastion des 18-ponts.
Un transfert fait à la hâte et peut-être effectué avec moins d'attention et de sécurité que d'habitude. C'est finalement la thèse la plus probable : l'accident. L'entrepôt contenait au moins 500 tonnes de mélinite à ce moment là, une substance chimique instable et fortement explosive qui remplaçait la poudre noire, dans les obus par exemple.
Il reste peu de traces de l'explosion plus d'un siècle plus tard. Mais si vous vous baladez dans Moulins, vous pouvez tomber sur le monument qui rend hommage aux victimes. Il se situe au 59 rue de Maubeuge et a été inauguré le 13 octobre 1929 par le maire d'alors, Roger Salengro. Taillé dans la pierre blanche, le monument est orné des armes de la ville de Lille et d'une scène représentant des habitants du quartier après le drame.
Pour vous raconter ce drame historique, on s'est basé sur :
l'article "Janvier 2016 : Moulins-Lille est rayé de la carte" de La Voix du Nord daté du 7 juillet 2013