Benjamin Kluk, le street-artist qui colle les têtes pour éviter de se la prendre
Justine Pluchard,
5 min de lecture
10 mars 2019,
Dans la rue
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Brel, Picasso, Bruce Lee... Que des mecs qui ont de la gueule et surtout une tronche reconnaissable. Ils ont aussi bercé l'enfance de Benjamin, celui qui les encolle sur les façades de la métropole lilloise et d'ailleurs. Uniquement pour son plaisir et celui des yeux des passants.
"Moi je colle dans la rue pour le gosse qui lèvera les yeux, pour égayer la journée de la petite mamie dans son quartier. Pas pour qu'un galériste me brosse le poil pour en faire du fric. De toute façon, une fois que c'est collé dans la rue, ça ne m'appartient plus".
On voulait commencer ce portrait de Benjamin Kluk par cette phrase qu'il nous a lâchée quand on l'a rencontré il y a quelques jours. Parce qu'elle résume finalement assez bien ce Lillois baroudeur adopté par Roubaix. Parce qu'il faut l'imaginer prononcée dans la petite cour intérieure des Ateliers Jouret par un mec de 32 ans qui a encore la voix et le sourire qu'il avait gamin.
Vous allez avoir du mal à mettre une étiquette sur Benjamin et c'est normal : il n'en veux pas. Aujourd'hui il a toujours une tête prête à être collée dans la voiture, mais dans cinq ans, il sera "peut-être en Laponie à élever des chiens de traineau".
De Toulouse-Lautrec à Saint-Luc
Benjamin, c'est un Lillois pur souche issu d'un milieu populaire et qui a passé son enfance boulevard de Metz. Un jour, il part à Villeneuve-d'Ascq avec sa classe pour voir une expo de Toulouse-Lautrec. "Il y avait aussi du Modiglani je crois, et j'en ai pris plein les yeux, se souvient Benjamin. Je me suis dit 'Ça tue ! C'est ça que je veux faire'".
Enfant unique, Benjamin consacre alors son temps à dessiner. Il en oublie tout le reste. "Je n'ai pas le brevet, pas le bac. J'ai juste plein de bouquins, un besoin irrépressible de voyager et de rencontrer des gens". Son talent pour le dessin lui ouvre les portes de l'école Saint-Luc à Tournai. Il adore les ateliers, décroche des notes correctes mais le modèle académique est un moule dans lequel il n'arrive pas à rentrer.
"A cette époque, je graffais pas mal et c'est un monde marginal dans lequel je me retrouvais plus". En 2007, Il finit par se faire virer de l'école pour "absentéisme" et raccroche les crayons.
Beau nez d'Anne
Plus de dessin mais une ribambelle de petits jobs, essentiellement dans la restauration. Ça ne lui plaît pas mais ça paye le loyer pendant sept ans. Un jour, un de ces collègues passe chez lui et tombe sur quelques uns de ses vieux dessins. "Il aimait bien mon style et comme il tatouait à ses heures perdues, il m'a demandé de lui en dessiner un pour lui. Et ce serait moi qui le tatouerais."
Sur le coup, Benjamin fait ça pour rendre service. "Pour moi le tattoo, c'était clairement pas ma came", se rappelle-t-il. Son pote lui apprend quand même les bases de la pratique et Benjamin se lance. "Et là... Au moment où je l'ai touché, j'ai retrouvé les mêmes sensations, la même montée d'adrénaline que lorsque j'allais tagguer des trains".
Le lendemain, il veut recommencer. Encore et encore. Il lui en fait encore quelques-uns avant de lui même passer sous le dermographe : un bonnet d'âne qu'il a dessiné lui même. "Au final, ça m'a juste fait un déclic. Finalement, dans la vie, je ne sais vraiment bien faire que ça : dessiner".
Une rupture conventionnelle plus tard, voilà Benjamin, 29 ans, "prêt à rêver de nouveau" et surtout, paré à dessiner. "Il fallait que je m'y remette sérieusement, que je retrouve ma patte, mon style". Il s'astreint à dessiner tous les jours en parallèle de sa formation de tatoueur.
Dessine un Brel
Il dessine ce qui lui passe par la tête. Un jour, c'est celle de Jacques Brel qui lui vient. "C'est une image de mon enfance. J'aimais bien sa gueule, son délire artistique dans lequel je me retrouvais." Parmi tous les dessins qu'il fait chaque jour, cette tronche de Brel lui plaît quand même pas mal : il décide de l'imprimer pour l'encadrer.
"Sauf que je me suis mis à la découper, raconte l'artiste. Je m'étais mis en tête de la coller sur le mur rouge de ma cuisine. Je me fabrique ma propre colle mais finalement, c'est en bas de ma rue que je l'ai collée. Et depuis, je n'ai plus arrêté."
Le souvenir de son premier collage à Lille reste un tournant. "C'était rue de la Clef, toujours une tête de Jacques Brel. Deux femmes qui devaient avoir la cinquantaine sont passées devant, l'ont reconnu et m'ont simplement dit : 'C'est beau, merci !'. C'était la première qu'on me remerciait pour l'un de mes dessins, c'était fou."
Depuis, Benjamin continue de coller ses têtes sur des portes rouillées, des planches de bois ou les coins abîmés des villes. "Là où on pourra les voir sans que ça ne m'embête personne", en somme. Il est parti en coller à Roubaix à Lille mais aussi un peu partout en Europe avec toujours un dessin dans la voiture, "au cas où".
Il aimerait bien en faire des installations un jour, les créer en relief. Mais surtout, il aimerait que Lille et Roubaix deviennent des spots "où tous les street-artists débarqueraient". Des street-artists comme lui ? "Non, moi je suis juste un gamin qui s'éclate".