Au cours du XXe siècle, Wazemmes a compté jusqu'à six cinémas. Le plus beau et le plus connu de tous, c'était le Mondial avec sa salle à l'italienne de plus de 1000 places. On peut d'ailleurs encore admirer sa belle façade de la rue Racine quand on sort de la station de métro Wazemmes. On vous raconte cette folle histoire entre le quartier et ce haut lieu lillois du 7e art.
Derrière le Mondial, on retrouve surtout deux hommes : Gustave Duthoit et Gabriel Pagnerre. Le premier est un bistrotier de la rue des Postes qui a pris pour habitude d'organiser des projections de cinéma muet dans l'arrière-salle de son troquet. On est au début des années 1900 et le cinéma n'en est qu'à ses débuts : il est majoritairement encore itinérant et, à Lille, ce sont des forains qui viennent le plus souvent avec du matos dans des bars, des théâtres ou encore des hippodromes (mais ça c'est une autre histoire qu'on vous racontera plus tard).
Chez Duthoit, on se bouscule pas mal pour rejoindre la fameuse arrière-salle. Si bien qu'en 1909, le cafetier décide d'investir pour ouvrir un lieu spécifiquement conçu pour le cinéma, chose assez inédite pour l'époque. On ne sait pas trop comment il finance tout ça. En revanche, on sait que c'est au jeune architecte Gabriel Pagnerre qu'il confie cet ambitieux projet.
Si ce dernier a aujourd'hui des centaines de belles façades art nouveau à son actif dans la métropole lilloise, ce projet de cinéma est l'une de ses premières grandes réalisations. Et l'architecte ne va pas faire les choses à moitié avec le Mondial, que ce soit à l'intérieur comme à l'extérieur.
Art nouveau et septième art
Imaginez... Vous êtes dans les années 1910, c'est dimanche et vous avez envie de vous faire une toile. Hop, vous partez vers la place verte (ancien nom du square Ghesquière) et là, rue Racine, vous faites face à une jolie façade avec des vitraux, incrustée de décorations florales, de détails géométriques et autres motifs caractéristiques de l'art nouveau.
A l'intérieur, il y a un hall d'accueil, vous y prenez votre billet pour quelques francs avant d'entrer dans une vaste salle de cinéma d'un raffinement rarement égalé à Lille. Pagnerre a conçu une salle dite "à l'italienne" avec un parterre de bancs (vite remplacés par des sièges individuels) mais aussi des loges aux étages. Autant vous dire que dans le quartier populaire de Wazemmes, on n'est pas peu fier de cet endroit : en plus d'être majestueux, c'est à l'époque le plus grand cinéma de Lille avec 1200 places et c'est aussi l'un des premiers de la région.
Le Mondial doit fermer ses portes pendant la Première Guerre mondiale mais la foule est au rendez-vous dès sa réouverture en 1919. Au point où certains disent que les Duthoit ont dû faire barrage eux-mêmes "pour contenir la marée humaine qui se pressait à l'entrée !"
Mouchoirs publicitaires
Les années 20 sont prolifiques pour le cinéma : c'est devenu un vrai loisir et un lieu de rassemblement local. Au Mondial, c'est à cette même période qu'on aurait ajouté un café pour la vente de boissons et on peut aussi se délecter pendant la séance de sucettes au chocolat Chupeta. Il n'est pas rare non plus de voir des distributions de mouchoirs publicitaires lors de la projection de films "sentimentaux". Autre spécificité du Mondial : il n'a pas une mais deux programmations par semaine. De quoi faire rougir les autres cinés du quartier et de la ville.
L'avènement du cinéma parlant dans les années 30 n'a clairement pas fait désemplir la salle wazemmoise. C'est à la même époque que Gustave Duthoit, le fondateur emblématique, quitte la scène du Mondial. Le cinéma continue sa belle aventure jusqu' à la fin des années 60. Il y a peu de détails sur les raisons de sa fermeture en 1972.
Spin-off
Depuis, le cinéma mythique du quartier a connu de multiples transformations : bazar, mairie de quartier, bureau de poste... Mais depuis 2004, le bâtiment peu à peu oublié et reste vide. Il faudra attendre 2016 et un appel à projets de la mairie de Lille, propriétaire des lieux désormais, pour que cette petite pépite architecturale puisse espérer accueillir à nouveau du monde et entendre des rires à l'avenir.
Ce ne seront pas les rires de spectateurs et spectatrices : il ne reste en réalité rien de l'ancienne salle de projection. Mais trois médecins lillois ont pour projet d'y ouvrir une crèche associative et intergénérationnelle. De gros travaux ont été entrepris et sont d'ailleurs toujours en cours. Mais ils ont bien pris soin de conserver la belle façade art nouveau du site et la plaque au nom de l'architecte Gabriel Pagnerre est à nouveau visible. Pour que personne n'oublie dans le générique que le Mondial en a mis plein les yeux au quartier de Wazemmes pendant des décennies.
Pour écrire cet article, on s'est basé sur plusieurs sources :